Vincent van Gogh, Lettres à son frère Théo,
juillet 1880
Mon cher Théo, C’est un peu à contre coeur que je t’écris, ne l’ayant pas fait depuis si longtemps (...). J’ai appris à Etten que tu avais envoyé 50 francs pour moi, eh bien je les ai acceptés. Certainement à contre coeur, certainement avec un sentiment assez mélancolique, mais je suis dans une espèce de cul de sac ou de gâchis, comment faire autrement ? (...) Il est vrai que j’ai tantôt gagné ma croûte de pain, tantôt tel ami me l’a donné par grâce, j’ai vécu comme j’ai pu, tant bien que mal, comme cela allait, il est vrai que j’ai perdu la confiance de plusieurs, il est vrai que mes affaires pécuniaires sont dans un triste état, il est vrai que l’avenir est pas mal sombre, il est vrai que j’aurais pu mieux faire, il est vrai que tout juste pour gagner mon pain j’ai perdu du temps, il est vrai que mes études sont elles-mêmes dans un état assez triste et désespérant, et qu’il me manque plus, infiniment plus que ce que je n’ai. Mais, cela s’appelle t-il baisser et cela s’appelle t-il ne rien faire ? Tu diras peut-être : mais pourquoi n’as-tu pas continué comme on aurait voulu que tu eusses continué, par le chemin de l’université ? Je ne répondrai rien là-dessus que ceci : cela coûte trop cher ; et puis cet avenir-là n’était pas mieux que celui d’à présent sur le chemin où je suis. Mais dans le chemin où je suis, je dois continuer -si je ne fais rien, si je n’étudie pas, si je ne cherche plus alors je suis perdu. Alors, malheur à moi. ( ?) Un oiseau en cage au printemps sait fortement bien qu’il y a quelque chose à quoi il serait bon, il sent fortement bien qu’il y a quelque chose à faire, mais il ne peut pas le faire, qu’est-ce que c’est ? Il ne se le rappelle pas bien : puis il a des idées vagues et se dit : les autres font leurs nids et font leurs petits et élèvent leur couvée, puis il se cogne le crâne contre les barreaux de la cage. Et puis la cage reste là et l’oiseau est fou de douleur. (...) Tout cela est-ce imaginaire, fantaisie ? Je ne le pense pas ; et puis on se demande : mon dieu, est-ce pour longtemps, est-ce pour toujours, est-ce pour l’éternité ?
Letter from Vincent van Gogh to Theo van Gogh Arles, c. 14 March 1888
Mon cher Theo, Je te remercie beaucoup de ta lettre, sur laquelle je n'avais même pas osé compter si vite pour ce qui est du billet de 50 fr. que tu y as ajouté. Je vois que tu n'as encore de réponse de Tersteeg, je ne vois pas la nécessité d'insister de notre côté par une nouvelle lettre, toutefois si tu aurais quelque affaire officielle à traiter avec la maison B. V. & & Co. La Haye, tu pourrais dans un P. S. faire sentir, que tu sois plus ou moins étonné de ce qu'il ne t'aie point fait savoir qu'il a reçu la lettre en question. Pour ce qui est du travail, j'ai rapporté une toile de 15 aujourd'hui, c'est un pont-levis sur lequel passe une petite voiture, qui se profile sur un ciel bleu - la rivière bleue également, des berges orangées avec verdure, un groupe de laveuses aux caracos & bonnets barriolés.. Puis autre paysage avec un petit pont rustique & laveuses également. Enfin une allée de platanes près de la gare. En tout, depuis que je suis ici, 12 études. Le temps est variable, souvent du vent & des ciels brouillés, mais les amandiers commencent à fleurir généralement. En somme je suis bien content que les tableaux soient aux Indépendants. Tu feras bien d'aller voir Signac chez lui, j'étais bien content de ce que tu écrivais dans ta lettre d'aujourd'hui qu'il a fait sur toi une impression plus favorable que la première fois. Dans tous les cas cela me fait plaisir de savoir qu'à partir d'aujourd'hui tu ne seras pas seul dans l'appartement. Dis bien le bonjour à Koning de ma part. Est ce que ta santé est bien ? pour ce qui est de la mienne cela va mieux, seulement c'est une vraie corvée de manger, vu que j'ai de la fièvre et pas d'appétit, mais cela n'est donc que passager et affaire de patience. J'ai de la compagnie le soir, puisque le jeune peintre Danois, qui est ici, est très bien; son travail est sec, correct et timide, mais je ne déteste pas cela lorsque l'individu est jeune et intelligent. Il a dans le temps commencé des études de médecine; il connaît les livres de Zola, de Goncourt, Guy de Maupassant, et il a assez d'argent pour se la couler douce. Avec cela un désir très sérieux de faire autre chose que ce qu'il fait actuellement. Je crois qu'il ferait bien de différer son retour dans son pays d'un an ou de revenir après une courte visite à ses concitoyens. Mais, mon cher frère, tu sais je me sens au Japon - je ne te dis que cela et encore je n'ai encore rien vu dans la splendeur accoutumée. C'est pourquoi (tout en étant chagriné de ce que actuellement les dépenses sont raides et les tableaux des non-valeurs) c'est pourquoi je ne désespère pas d'une réussite de cette entreprise de faire un long voyage dans le Midi. Ici je vois du neuf, j'apprends, et étant traité avec un peu de douceur, mon corps ne me refuse pas ses services. Je souhaiterais pour bien des raisons pouvoir fonder un pied-à-terre, qui en cas d'éreintement, pourrait servir à mettre au vert les pauvres chevaux de fiacre de Paris, qui sont toi-même et plusieurs de nos amis, les impressionnistes pauvres. J'ai assisté à l'enquête d'un crime, commis à la porte d'un bordel ici; deux Italiens ont tué deux zouaves. J'ai profité de l'occasion pour entrer dans un des bordels de la petite rue, dite “des ricolettes.” Ce à quoi se bornent mes exploits amoureux vis-à-vis des Arlésiennes. La foule a manquée (le méridional, selon l'exemple de Tartarin étant davantage d'aplomb pour la bonne volonté que pour l'action) la foule, dis-je, a manquée lyncher les meurtriers emprisonnés à l'hôtel de ville, mais sa représaille a été que tous les Italiens et toutes les Italiennes, y compris les marmots Savoyards, ont dû quitter la ville de force. Je ne te parlerais pas de cela si ce n'était pour te dire, que j'ai vu le boulevard de cette ville plein de monde réveillé. Et vraiment c'était bien beau. J'ai fait mes trois dernières études au moyen du cadre perspectif, que tu me connais. J'attache de l'importance à l'emploi du cadre, puisqu'il ne me semble pas improbable que dans un avenir peu éloigné plusieurs artistes s'en serviront, de même que les anciens peintres allemands et italiens sûrement, et je suis porté à le croire pas moins les Flamands s'en sont servis. L'emploi moderne de cet instrument peut différer de l'emploi qu'anciennement on en a fait - mais - n'est-ce pas de même qu'avec le procédé de la peinture à l'huile on obtient aujourd'hui des effets très différents de ceux des inventeurs du procédé: J. et Hubert v. Eyck? C'est pour dire que j'espère toujours ne pas travailler pour moi seul, je crois à la nécessité absolue d'un nouvel art de la couleur, du dessin et - de la vie artistique. Et si nous travaillons dans cette foi-là, il me semble qu'il y ait des chances pour que notre espérance ne soit pas vaine. Tu sauras toujours qu'à la rigueur je suis en état de te faire parvenir des études, seulement pour les rouler c'est encore impossible. Je te serre bien la main. J'écris dimanche à Bernard et à de Lautrec, puisque j'ai formellement promis, je t'enverrai d'ailleurs les lettres. Je regrette bien le cas de Gauguin, surtout parce que sa santé étant ébranlée, il n'a plus un tempérament auquel les épreuves ne puissent faire que du bien, au contraire cela ne fera désormais que l'éreinter, et cela doit le gêner pour travailler. A bientôt, t. à t. Vincent
Mon cher Théo,
Enfin je t’envoie un petit croquis pour te donner une idée de la tournure que prend le travail. Car aujourd’hui je m’y suis remis. J’ai encore les yeux fatigués, mais enfin j’avais une nouvelle idée en tête et en voici le croquis. Toujours toile de 30. C’est cette fois-ci ma chambre à coucher tout simplement. La couleur doit tout faire : elle doit suggérer le repos ou d’une manière générale le sommeil. En fait, la vue du tableau doit permettre la relaxation et le dépassement de l’esprit. Les murs sont d’un violet pâle. Le sol est en briques carrées rouges. Le bois de lit et les chaises sont jaune beurre frais, le drap et le coussin citron vert très clair. La couverture rouge écarlate. La fenêtre verte. La table à toilette orangée, la cuvette bleue. Les portes lilas. Et c’est tout rien dans cette chambre à volets fermés.
La carrure des meubles doit maintenant encore exprimer le repos inébranlable. Les portraits sur le muret, un miroir, un essuie-main et quelques vêtements. Le cadre-comme il n’y a pas de blanc dans le tableau- sera blanc…
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C'est très touchant je trouve lorsqu'il dit ceci : "Mais, cela s’appelle t-il baisser et cela s’appelle t-il ne rien faire ? "
ReplyDeleteOui, c'est vrai, il écrit bien d'ailleurs
ReplyDelete... - ils étaient deux - les frères Van Gogh! - Théo l'a soutenu financièrement et moralement tout au long -ils éteinet très très proches!. Je trouve Théo très intéressant humainement.... Vincent était lucide et intelligent et très sincère...
Moi je touve ca ni un mythe, ni sprécialement extraordinaire - juste le sublime du banal qui "marche super bien"!
Il a écrit quelque chose qui m'a énormément touchée. Lui qui était très souffrant, il a dit vouloir apporter aux gens de la beauté, de la gaité, des couleurs, pour leur rendre la vie plus belle. Que c'est le devoir de l'artiste.
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